Sur le caractère abusif de la clause de réception tacite de l'ouvrage
-M. et Mme X. et la société A. ont conclu un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans prévoyant en l'une de ses clauses que :
"Toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction du procès-verbal de réception signé par le maître de l'ouvrage et le maître de l'œuvre, entraîne de fait la réception de la maison sans réserve et l'exigibilité de l'intégralité des sommes restant dues, sans contestation possible".
Après expertise, les consorts X ont assigné la société A., en paiement de sommes à titre de restitution des frais de démolition, de reconstruction et des pénalités de retard, et à titre subsidiaire, pour voir constater l'exercice de leur droit de rétractation sur le fondement de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation au terme duquel :
"Pour tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de dix jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte.
Cet acte est notifié à l'acquéreur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes.
Lorsque l'acte est conclu par l'intermédiaire d'un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente, cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation. Dans ce cas, le délai de rétractation court à compter du lendemain de la remise de l'acte, qui doit être attestée selon des modalités fixées par décret.
Lorsque le contrat constatant ou réalisant la convention est précédé d'un contrat préliminaire ou d'une promesse synallagmatique ou unilatérale, les dispositions figurant aux trois alinéas précédents ne s'appliquent qu'à ce contrat ou à cette promesse.
Lorsque le contrat constatant ou réalisant la convention est dressé en la forme authentique et n'est pas précédé d'un contrat préliminaire ou d'une promesse synallagmatique ou unilatérale, l'acquéreur non professionnel dispose d'un délai de réflexion de dix jours à compter de la notification ou de la remise du projet d'acte selon les mêmes modalités que celles prévues pour le délai de rétractation mentionné aux premier et troisième alinéas. En aucun cas l'acte authentique ne peut être signé pendant ce délai de dix jours".
La Cour d'appel de Montpellier a estimé qu'en l'espèce que :
"l'article 12 des conditions particulières du contrat de construction de maison individuelle prévoit que "toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction du procès-verbal de réception signé par le maître de l'ouvrage et le maître de l'œuvre, entraîne de fait la réception de la maison sans réserve et l'exigibilité de l'intégralité des sommes restant dues, sans contestation possible". Cette clause du contrat assimile la prise de possession à une réception "de fait" et "sans réserve" alors que la réception suppose la volonté non équivoque du maître de recevoir l'ouvrage que la seule prise de possession ne suffit pas à établir. Cette clause, insérée dans un contrat conclu entre un professionnel et un non-professionnel, a donc pour effet de créer au détriment de ce dernier un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat puisqu'elle impose au maître une définition extensive de la réception, contraire à la loi, ayant pour effets annoncés de rendre immédiatement exigibles les sommes restant dues et de priver le maître du bénéfice du délai d'ordre public de 8 jours pour dénoncer les désordres apparents non signalés au jour de la réception. Cette clause doit être réputée non écrite"(CA Montpellier, 27-06-2013, n° 12/08539).
Que de ce fait, la Cour d'appel de Montpellier aurait notamment violé les dispositions de l'article 1134 du Code civil, disposant :
"Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi".
Tel n'a pas été l'avis de la haute juridiction, selon laquelle :
"attendu qu'ayant relevé que la clause litigieuse assimilait la prise de possession à une réception « de fait » et « sans réserve » alors que la réception suppose la volonté non équivoque du maître de recevoir l'ouvrage que la seule prise de possession ne suffit pas à établir, la cour d'appel a, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant, retenu, à bon droit, que cette clause, qui, insérée dans un contrat conclu entre un professionnel et un non-professionnel, crée au détriment de ce dernier un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties puisqu'elle impose au maître de l'ouvrage une définition extensive de la réception, contraire à la loi, ayant pour effet annoncé de rendre immédiatement exigibles les sommes restant dues, devait être réputée non écrite ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé' (Cass. civ. 3, 06-05-2015, n° 13-24.947).
Ainsi, la Cour de cassation affirme encore davantage sa jurisprudence visant à équilibrer les rapports entre les professionnels de la construction et les maîtres d'ouvrage profanes.
B. BEAUVERGER
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